LA MARQUISE DE SADE

Texte publié dans "L'annuaire historique du département de l'Yonne" de 1902

Jamais contraste plus frappant que ce ménage du marquis et de la marquise de Sade ; d'un côté le fameux satyre, l'écrivain scandaleux, le prisonnier de Vincennes et de la Bastille, convaincu de vices et de crimes immondes - de l'autre côté une femme aimante, tendre, dévouée et résignée, aux yeux de qui l'époux ne saurait avoir de torts, une sainte de l'amour conjugal.
Le nom du marquis de Sade, bien connu des lecteurs de l'Annuaire, n'inspire certainement pas beaucoup de sympathies. Il en sera tout autrement de la marquise. C'est l'ange à côté du monstre. Il est bon que l'on sache que dans le château de Valery, propriété de la famille de Sade (1) anciennement, habita en même temps que le vice, la vertu - et dans la compagnie du plus détestable des maris la plus exemplaire des femmes. La biographie de Madame de Sade est pleine d'intérêt pour nos compatriotes, de l'Yonne surtout.
La marquise de Sade était née "de Montreuil". Le mariage fut célébré le 17 mai 1763, à Paris, à l'église Saint-Roch. Renée-Pélagie de Montreuil avait 23 ans, le marquis de Sade 22.
Renée-Pélagie, plus gracieuse que belle, avec des yeux vifs et un air de vertu et de calme répandu sur tout son visage, était fille de M. Cordier de Montreuil seigneur de Launay, président de la Chambre des Comptes, et de Marie-Madeleine Masson de Plissay "le vrai maître de la maison", s'il faut en croire l'histoire. Le mariage de Renée fut surtout l'oeuvre de sa mère.
Le jeune marquis de Sade, introduit chez M. de Montreuil après ses campagnes d'Allemagne où il fut un brillant soldat, regarda d'abord avec quelque tendresse la cadette des filles de la maison, Louise de Montreuil, âgée de 16 ans, de physionomie piquante. Mais la mère voulait que l'aînée fût établie d'abord. Le marquis se résigna.
Renée-Pélagie, elle, s'était aperçue des préférences du marquis pour sa jeune sœur. Mais comme elle avait conçu un vif et profond amour pour lui, elle crut qu'elle finirait par se faire adorer d'un mari auquel elle était imposée. Mariage de raison du côté de Sade, mariage d'amour du côté de Renée. Hélas ! Elle eut ensuite besoin de tout son courage et de sa passion pour supporter la vie qui lui fut faite. Elle devait d'ailleurs rester jusqu'au bout amoureuse, "amoureuse comme le sont les âmes pures et très droites, sans complications, et qui ne savent point se livrer à demi, assurées qu'elles ne se livreront point deux fois".
La lune de miel fut courte, on se l'imagine aisément. Après un mois à peine, un abominable scandale éclata. Des filles entraînées dans "la petite maison" de Sade, se plaignirent de raffinements de débauche qui avaient ressemblé à d'ignobles brutalités. Le marquis était une sorte de Vacher grand seigneur. Enfermé au château de Vincennes, le seigneur de Valery feignit un chagrin très vif d'être séparé de sa femme "la personne la plus chère qu'il eût au monde".
Comme d'ailleurs en ce temps là les nobles éprouvaient vite les indulgences de la justice, le coupable, à la fin de l'année, quitta une prison assez douce pour rejoindre son régiment.
La marquise de Sade ne douta du reste pas un instant de son mari, accepta toutes ses explications et crut envers et contre tous à son innocence. "Elle avait admis sans hésiter l'hypothèse d'une erreur, d'une dénonciation calomnieuse. Elle était encore dans tout l'enivrement de son amour conjugal".
Revenu à Paris, Sade se lie avec une danseuse, une complice de ses curiosités dépravées, Mlle Beauvoisin, jolie mais sans taille, courte et ramassée, flétrie par ses débauches.
                                    
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